4 juillet… fourth of July, la fête nationale américaine… par hasard…
C'est aussi ce jour que j'ai choisi pour me faire une petite spéciale, un tour sur un class America! AUS21, Spirit, est le bateau utilisé par le team AUS pour la campagne pour l'America Cup 1992 à San Diego. Actuellement il sert de promène touriste dans la baie de Sydney pour une expérience unique à bord de ce monstre à voile… 26 tonnes, 23 mètres de long, un mât de 35 mètres (une cathédrale!!!), 350 mètres carré de voilure, un gennaker de 600 mètres carrés… Bref un class America!
Moyennant une inscription, on peut se payer ce petit tour et en l'occurrence ce mercredi, la participation à une vraie régate comme équipier à bord! Le championnat du monde du mercredi après-midi à Sydney, équivalent de notre Championnat du monde du mardi soir à Morges. Sauf que les bateaux sont plus gros, beaucoup plus gros!
Rendez-vous sur le quai à 12h45, j'arrive un peu en avance et le vois arriver tranquillement avec 4 hommes à bord. C'est le seul voilier au milieu des autres bateaux de Darling Harbour, et à côté d'un destroyer et d'un sous-marin à quai juste en face au musée de la marine, il fait presque petit! Mais quand on prend la mesure du mât on ne peut qu'être impressionné!


Nous sommes dix à être inscrits pour la session: 3 femmes et un type (qui resteront observateurs), 6 autres gars qui seront engagés. Donc 10 à bord pour faire la manœuvre au lieu des 17, sauf erreur, en course. Mais sans gennaker car le vent ne le permettra pas aujourd'hui et sans spi car le règlement de course ne le permet pas! Dommage, j'aurais bien aimé voir un gennaker de 600m carré!!
Bienvenue à bord de Spirit! On a droit à un speech minimum, un briefing de sécurité et pas trop d'explication sur ce qui va nous arriver, en l'occurrence une régate. J'essaye de soutirer quelques infos sur le timing, le parcours etc, mais c'est un peu difficile. D'abord les types ont peu de temps à nous consacrer au-début en tout cas et ensuite j'ai beaucoup de mal à comprendre leur langue… L'anglais avec l'accent australien commence à me paraître compréhensible, mais l'anglais de voile c'est encore une autre paire de manche! Les types parlent souvent en regardant ailleurs, le vent et le bruit rendent la compréhension pénible! Bref… j'essaie d'être attentif et de faire mon boulot! En l'occurrence, faire tourner les moulins à café! La grand-voile prend une éternité à monter… 35 mètres et 220 mètres carré… c'est sacrément physique! Mais l'apparition du logo me donne des frissons dans le dos!

Le ton est vite donné! Il y a 3 moulins à deux personnes chaque fois: 2 pour les drisses et les écoutes de génois, et un pour l'écoute de grand-voile et le cunningham. Des curseurs permettent de sélectionner les fonctions, et les moulins sont à 2 voire 3 vitesses, qui s'incrémentent automatiquement selon la résistance et le sens de rotation. On travaille donc face à face et globalement les équipiers moulinent ou se déplacent pour faire du poids!

Une fois les voiles hissées, nous quittons la zone du port pour nous rendre dans la baie, passons sous le grand pont et longeons l'opéra, vent de travers avec un bon 25 nœuds.

Trop pour le bateau qui est conçu pour 22 nœuds max (selon le règlement de l'America Cup)! Des conditions musclées donc, qui ne font pas peur à l'équipage mais qui ne mettent pas le bateau dans ses meilleures conditions qui seraient plutôt autour de 15 nœuds. Dès les premières risées l'accélération est impressionnante! Les 26 tonnes passent de 5 à 10 nœuds en quelques secondes et la force ressentie est phénoménale! Même si la vitesse maximale n'est que de 14 nœuds, le bateau ne planant pas et la vitesse limite étant définie par sa longueur et la vague qu'il crée, l'impression de rigidité, la sécheresse des à-coups, la puissance sont vraiment dingues! Le bateau a beau avoir 20 ans, s'être bien "ramolli", je trouve tout ça encore bien vif et le carbone n'est pas encore si mou que cela!

L'air de rien le skipper me demande comme ça si je veux barrer… ?????... Et me voilà pour quelques minutes, à la barre d'un class America… c'est du délire! J'avais déjà un immense plaisir à retrouver un voilier, à ressentir le vent, la glisse, la gîte, et me voilà à la barre! J'essaye de trouver les sensations, mais les 25 mètres ne se laissent pas barrer comme un surprise et il faut un peu de force et pas mal d'anticipation. Une grosse risée arrive, et j'essaie d'abattre un peu pour le lancer, ça craque et ça tire… on passe les 11 nœuds, mais très vite le skipper me demande de relâcher la pression et de re-loffer un peu pour ne pas trop tirer dans la barre: ce n'est pas un petit vélo! On a un peu de temps et chacun a l'occasion de toucher un peu une des deux barres à roue! Mythique!
La procédure de départ est un peu floue… J'ai du mal à comprendre la ligne, les équipiers réguliers ont loupé le canon donc on ne connaît pas le timing, et on fait un départ au vent arrière ce qui rend tout un peu moins fun… N'empêche! On est évidemment les plus gros, et il y a une dizaine d'autres grands voiliers genre Farr 40, plus une kyrielle d'autres monocoques, les plus petits de l'ordre de 8 mètres. Le vent a encore forcit et les claques montent maintenant à 30 nœuds… c'est du sérieux! Faufiler un classe America au milieu de tout ce monde est un sacré job, et le barreur s'en tire bien, amenant notre bateau tribord sur la ligne et nous permettant de barrer la route à tous les autres, et d'abattre au top, nous laissant un peu de marge puisqu'on a pas réussi à avoir un compte à rebours précis! "Notre" job est simplifié par le fait que personne ne vient chercher des noises à un bateau de cette taille! Les autres le connaissent et savent qu'un demi-tour ou quelque manœuvre que ce soit nous prendrait beaucoup plus d'aire qu'à eux, et nous laissent donc un peu tranquille… De plus inutile de dire qu'il est insensé d'espérer quoi que ce soit sous notre vent!

Dès le départ un jeu amusant se passe à notre vent! Notre vague est telle que deux des gros poursuivants se battent pour se mettre juste à notre cul, et surfer notre vague, plus grosse donc plus rapide que la leur! On est ainsi suivi par un 40 pieds à moins de 2 mètres, ce dernier nous rattrapant et jouant au coup de frein en sortant de côté, puis se remettant au surf à notre poupe. Sympa!

Nous descendons toute la baie jusqu'à la sortie sur l'océan où nous recevons une bonne houle de travers arrière, pas de quoi nous chahuter mais certains des autres poursuivants passent un mauvais moment et nous assistons à quelques empannages involontaires autour de nous: assez dangereux avec des tailles de voiles pareilles!

Nous sommes troisièmes, le bateau étant bien en dehors de son programme et largement trop gros et trop lourd pour partir au surf, ce que les autres arrivent à faire! Les empannages se font sans difficultés, nous avons juste à mouliner pour faire passer les voiles et le foc auto-vireur fait le reste.
La bouée sous le vent marque un changement brutal de sensation: le vent de dos nous protégeait évidemment du vent et des embruns, et le retour au près se fera dans une toute autre ambiance! Embruns, pont et cockpit trempé, bruit assourdissant rendant le "dialogue" et les ordres difficiles à suivre, le retour sera froid et plus technique. Les voiles me paraissent mal réglées… et je me permets un commentaire en forme de question… Le foc est mal drissé et baille le long de l'étai.

Le type me répond avec un sourire masqué: "ce bateau est une "merde", hyper lourd avec son moteur, super mou à cause de son âge et inadapté à la navigation hors contexte de l'America des années 90… et puis.. c'est trop fort pour nous... Si on tire sur la drisse le bateau se plie en deux! Mais vas-y, essaie, de toute façon t'as raison!!" Je me retrouve donc avec la nouvelle mission d'essayer de régler ce foc, et à chaque virement j'essaie de drisser ce que je peux… C'est parfait ça m'occupe et me fait taire, à un poste bien en avant qui mouille un max! Je l'avais bien cherché! Tout se passe alors très bien jusqu'à ce que la drisse glisse d'un coup et qu'on se retrouve quasi sans foc, à se battre pour le re-drisser dans la baston… Pas facile! Ça me permet au moins de me rapprocher un peu de l'équipage et de me sentir plus engagé.

Le bateau est agréable, la gîte bien contrôlée et avec notre longueur on ne tape pas dans la vague, les deux mètres de creux passant pour un petit clapot!! Superbes sensations et vue incroyable de cette ville de Sydney qui se détache sur fond de régate (les petits bateaux ont un parcours raccourcis et croisent devant nous!!). Le ciel s'est assombris, nous prenons quelques grains qui ajoutent à l'ambiance! J'adore!

En remontant au vent, les claques sont moins sèches et on prend quelques minutes à relâcher un des deux ris, pour nous relancer un peu. Une manœuvre pas évidente, le bateau n'étant à la base pas conçu pour ça, les ris ont été rajoutés et un des équipiers doit se balader debout en bout de beaume (qui fait 5.5m!) pour défaire la prise de ris.

Nous perdons 2-3 places, que nous reprenons sur les bords suivants. Une ou deux marques à passer, un tour autour d'une des petites îles de la baie et c'est déjà la fin, 2ème sur la ligne, mais loin derrière si on tenait compte de nos probablement 10 minutes de handicap!

Sur le retour nous avons encore l'occasion de barrer un peu, je fais l'entrer dans la grande zone du port, le long de l'opéra… Je suis aux anges, et pas près d'oublier notre dernier jours en Australie!!

Je me réjouissais comme un petit fou de cette expérience mais la vivre a été bien au-delà de mes espérances. Une année de "manque" de voile y a été pour quelque chose, et depuis quelques temps déjà je commençais à me réjouir de retrouver la régate! Le faire dans ces conditions était en dehors du rêve!!

Nous passons la fin de l'après-midi à nous balader en amoureux, les kids étant repartis seul à la maison. La ville est belle, l'ambiance autour de la baie gaie et vivante, et la vie de la ville bien agréable, somme toute!
